Mains d’Or à Château d’Eau : Immersion dans un salon de coiffure du Xe arrondissement [N°1]
Un Cash-Express semble s’être fait une place au milieu de l’enfilade de salons et boutiques de coiffure. Je m’arrête à La Main d’Or. Au rez-de-chaussée, derrière la vitrine, les coiffeurs pour cheveux courts s’affairent à la tondeuse. Je demande si Sidonie est là :
« Sido ? Ah oui, elle est là-haut. »
Sidonie est à l’étage, sur une mezzanine. Elle est assise là et semblait presque m’attendre. Elle est habillée de rouge, un jean bleu et porte sur sa tête un foulard noir. Sur le mur, au-dessus d’elle, est accrochée une feuille : « Sidonie Coiffeuse – 07 62 09 XX XX ».
Elle a l’air ici chez elle dans ce salon, 11 ans qu’elle y coiffe mais elle coiffait déjà avant au Cameroun, à Douala au quartier Deido. Elle me dit qu’elle avait essayé de changer de travail il y a quelques mois mais qu’un malheur l’a rattrapé et l’a fait revenir. La coiffure c’est « sa passion, avec le handball, depuis [qu’elle a] arrêté l’école ».
Des grandes enceintes font chanter Maître Gims de la Sexion d’Assaut :
« Ne troquez pas vos principes pour l’argent
Sachez que les milliardaires se suicident
Perso moi j’vais rejoindre Abdelkarim
Dans un endroit plus tranquille »
Curieux, je demande si elle a continué le handball :
– J’ai arrêté en venant ici. Je voulais continuer ici mais j’avais pas de contacts. J’étais en Province. Il n’y avait même pas de salon là-bas. Ici, je fais les nattes, les lissages, les lissages à la kératine, les extensions, les piqués-lâchés… Tout ce qui concerne l’africain.
– Les tissages aussi ?
– Je suis une coiffeuse entière, je fais toutes les coiffures longues. Je coiffe même Kadidiatou Diani !
Sur les miroirs sont accrochées des affiches à l’effigie de l’attaquante numéro 11 de l’équipe de France de football.
« Et la semaine dernière j’ai coiffé un musicien ivoirien et ils ont même tourné leur clip ici ! »
Elle est là « presque tous les jours » :
– J’ai toujours coiffé ici. J’ai des clients qui reviennent tout le temps. La réputation dépend des coiffeurs et des coiffeuses. Si le prix est trop bas, je peux pas accepter parce que ça prend trop de temps. Je prends que sur rendez-vous. On m’appelle comme coiffeuse directement pour voir si je suis disponible. C’est pas le salon qu’on appelle.
– T’as une bonne réputation alors ?
– Si je suis sollicitée ? Mais oui, je suis vraiment connue !
– Là, [avant que tu viennes] j’avais une coiffure mais j’ai fini. Alors avant de rentrer je reste ici parce que chez moi je n’ai rien à faire.
– Comment est-ce que t’es arrivée dans ce salon ?
– Je marchais ici, je voulais chercher un salon en arrivant ici et c’est le premier où je suis rentrée. J’ai commencé tout de suite.
Autour d’elle tout le matériel pour la coiffure africaine. Des mèches, des sèche-cheveux, une bouilloire, des pots de kératine, des aiguilles… Un salon de coiffure en somme. La bouilloire qui trône devant le miroir ? C’est pour les pointes des nattes, on les plonge dans de l’eau bouillante afin qu’elles tiennent mieux.
On dit que les cordonniers ne sont pas les mieux chaussés, alors je demande ce qu’elle a comme coiffure :
« Là j’ai des nattes, cachées sous mon foulard noir, pour mon deuil, pendant 6 mois. Il y en a qui portent des vêtements tout noirs ou tout blancs. Mon frère porte une broche avec la photo de ma maman. Moi j’ai choisi les nattes sous le foulard noir. »
Maître Gims continue de chanter :
« Nos sons ne sont que des sentiments
Qui ne font que mentir gentiment
Recouvrant les cœurs d’un drap blanc
Les éloignant du monde des vivants
Viens dans mes bras : t’auras tout ce que tu voudras
Ouvre les yeux, j’ai retiré le voile
Viens dans mes bras, viens dans mes bras
Viens dans mes bras, viens dans mes bras »
Pendant que nous discutons, le monde va et vient dans le salon. Pas toujours pour se faire coiffer, souvent simplement pour discuter. Régulièrement, en montant au deuxième étage, on s’arrête dire bonjour à Sidonie. On me salue aussi, on me demande si je suis un acteur. « Non il est journaliste ! » Enfin pas tout à fait.
Tout d’un coup arrive Bassi, une connaissance de Sidonie, qui a également travaillé ici, il y a maintenant plus de dix ans :
« Ça c’est Château d’eau ! Comme je dis, ça s’est beaucoup arrangé ici ! C’est un monde qui facilite l’arrivée des jeunes sans-papiers. Pour les femmes et les hommes aussi. C’est un des rares endroits où tu peux gagner tes 10 euros bien mérités, sans être obligé de faire des affaires dangereuses. »
Une nouvelle cliente, qui se trouve aussi être une collègue, arrive pour un tissage et s’installe devant Sidonie avec qui on continue de discuter, maintenant à trois avec Bassi. Une partie du travail pour la coiffure de la cliente a déjà été fait ailleurs et Sidonie reprend le tissage. Un tissage consiste à coudre des mèches de cheveux raides en bandes sur les vrais cheveux d’une personne. Bassi reprend :
« J’ai coiffé ici mais pas longtemps, j’appréciais pas la façon de travailler parce que c’était le salon du patron. Je venais ici quand je m’ennuyais ou que j’avais besoin d’argent. C’est à toi de ramener les clients, et comme débutantes tu gardes 30% et 70% sont pour le patron. »
Le patron te donne le lieu et le matériel et tu travailles juste de ta main. Certaines personnes appréciaient mon travail, alors je leur parlais discrètement derrière. Je leur disais que je pouvais les coiffer ailleurs. Chez-elles on serait plus au calme, avec moins de bruit et pour moins cher. Après je distribuais même des cartes de visite pour faire ma publicité. A certaines clientes, chez lesquelles j’allais, je leur proposais de coiffer leurs enfants en prenant mon temps pour pouvoir dormir chez eux le soir plutôt que de retourner là où je dormais alors. J’étais dans des sous-locations à 300€ pour un clique-clac, je n’étais pas vraiment chez moi et trop à l’étroit. Alors ça me permettait de dormir ailleurs, de changer d’air. »
C’est au tour de Lefa de la Sexion d’Assaut de chanter :
« Les blacks bon-char pour être applaudis
S’mettent dans la javel sur la gueule afin d’avoir la peau
tismé
De l’autre coté les blanches d’un coup s’mettent au
tam-tam
Parce que finalement les black bon-char plaisent à un
tas d’dames
Décidément le monde est zarbi »
Et Bassi d’ajouter :
« Je faisais aussi ces coiffures dans une idée de gagnant-gagnant, les gens payaient moins cher et je les coiffais mieux. Disons plutôt que de payer 150€ en salon pour des tresses très fines qui prennent longtemps, je leur faisais à 80€. Et ce qui était très important pour moi c’était de pouvoir leur donner des conseils désintéressés et de faire mon travail avec soin. Alors que la politique d’ici [du salon de coiffure], c’était de faire de l’argent, quitte à aller vite. L’argent que je gagnais comme ça m’aidait bien. »
Au bout d’une bonne heure à discuter, on monte au deuxième étage qui sert aussi à la coiffure. Là quelqu’un d’autre s’occupe également spécifiquement de faire la manucure. Sur le même modèle, une part pour elle et une pour le patron. On retrouve cette organisation dans la plupart des salons de coiffure du quartier. Ainsi, les clients peuvent en un même lieu se faire coiffer et profiter d’une manucure. Bassi discute avec une autre coiffeuse, Tata Sido :
– On raconte que celle qui était là avant avait réussi à négocier à 50 [à garder 50% du prix des coiffures]. On dit qu’elle ramenait la clientèle.
– Jamais ! Comment à 50 ? Tu prends 30%, ensuite tu peux faire 35 ou peut-être 40. A 45% c’est vraiment le mieux possible.
– Mais alors on m’avait dit ça…
– Qui t’a dit ça ? 50% ? Ca veut dire que tu fais moitié-moitié avec le patron, jamais !
– Mais alors pourquoi est-ce que vous ne vous fâchez pas et partez ?
– Mais pourquoi est-ce que je me fâcherais ? Si je pars, il y a aussitôt quelqu’un d’autre qui viendra me remplacer. Si je reste ici c’est que je sais pourquoi.
À ce moment-là, sorti de nulle part, quelqu’un monte à l’étage pour proposer de vendre des boissons. Bassi l’interpelle :
– T’as de la Guinness ?
– Ah non !
– Qu’est-ce que tu vends alors ?
– Je vends du jus ! Je vends de l’eau !
Ici on coiffe et on manucure mais pas de vie heureuse sans ventre plein. Outre les vendeurs de boissons, passent aussi des vendeurs itinérants pour proposer des plats qu’ils ont mijotés chez eux : N’Dolé, banane plantain, beignets…
Alors que le vendeur de boissons sans alcool reprend sa tournée, Tata Sido ajoute : « 50%, 50%, 50%… Mais jamais ! »
Nous finissons, Bassi et moi, par quitter le salon et reprenons la discussion dans la rue :
« Tu vois ça a beaucoup changé ici, avant c’était plein de monde. Les gens faisaient parfois la queue pendant 3 heures pour pouvoir se faire coiffer dans les salons ! Aujourd’hui c’est très différent. »
En arrivant dans le métro de la ligne 4, à Gare de l’Est, elle reprend :
« Quand j’ai quitté l’Afrique et que je suis arrivée ici, je coiffais déjà mais je savais pas faire les tissages qui étaient très à la mode ici. Alors j’ai dû apprendre. J’ai appris auprès de Sidonie pendant quelques semaines à faire ça. Mais c’est une mode que je n’aime pas, ou plus. Parce que c’est vouloir faire à l’européenne. On n’assumait pas nos propres cheveux.
Je pensais toujours que je serais moche ici avec mes propres cheveux. Je ne pensais jamais ça là-bas, en Afrique. Mais ici, avec la vie à l’européenne et la mode, je n’assumais plus mes propres cheveux. Je connais des filles qui sont mariées à des européens et leurs maris n’ont jamais vu leurs vrais cheveux !»
Le métro s’arrête quelques instants entre Gare du Nord et Gare de l’Est avant de reprendre son rythme.
« Mais aujourd’hui ça change, les gens assument mieux leurs propres cheveux crépus. On voit de plus en plus de gens avec leurs vrais cheveux. Regarde les deux filles assises là, même s’il y en a une qui a des ajouts, elles ont leurs vrais cheveux ! Regarde-moi aussi, la preuve ! Je pensais ce matin partir avec une perruque de cheveux lisses mais finalement je me suis dit que je serai bien mieux comme ça. Juste en me maquillant un peu. »
Notre discussion se termine à Marcadet-Poissonniers dans le 18e arrondissement, au croisement des lignes 4 et 12.
Milo pour Le Chiffon
Illustration de Une > Rico
Illustration 1 > Wikipedia (Licence CC 2.0)
[…] moderne, le sport est ainsi intrinsèquement lié au capitalisme. Le sociologue Jean-Marie Brohm le définit comme une activité ayant pour…
[…] avec Le Chiffon, « journal de Paname et sa banlieue », pour qui « il y a quelque chose qui cloche…
Article très bien détaillé qui permet de bien saisir et l’accentuation des risques de pollutions diverses et qui montre que…
Pourtant il y en a pleins @Boris. On va devoir encore se battre, re-prendre tous les espaces, faire exister nos…
Il y a tellement des galeries d’arts qui ont abusé de sa naïveté pour s’enrichir! Et peintres aussi comme ce…